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[RÉFLEXION] Quelles adaptations des politiques culturelles dans le contexte de la transition démographique ?

Au sujet du rapport du Cycle des Hautes Études de la Culture "Vieillissement de la population : quelles adaptations des politiques culturelles pour toutes les générations ?"


La création de l’association LE FIL art et grand âge a été impulsée par ce diagnostic : les milieux d’accompagnement du grand âge coopèrent rarement avec le monde des arts et de la culture. Concrètement, les personnes les plus âgées, les plus fragiles et/ou les plus isolées, sont, au cours de leurs dernières années de vie, privées de toute possibilité de rencontres avec des artistes et des œuvres.

Nous revenons aujourd'hui sur le rapport du groupe 1 du Cycle des Hautes Études de la Culture (CHEC) de la session 2022/2023 qui interroge les politiques culturelles face au vieillissement de la population et les possibilités d’imaginer et de mettre en œuvre des dispositifs intégrant toutes les générations.

Nous retiendrons et apporterons notre contribution à trois des nombreuses thématiques abordées dans le rapport :


  • la méconnaissance réciproque des secteurs culturels et du grand âge,

  • les initiatives novatrices issues des territoires,

  • la dimension intergénérationnelle dans les politiques culturelles.


En réflexion depuis 10 ans sur les enjeux et l'actualité des initiatives qui rapprochent le monde culturel de celui du grand âge, nous porterons, dans cet article, un regard subjectif et documenté sur les propositions faites autour de ces trois points.


Image : Un jardin Extraordinaire © Le Fil art et grand âge


La culture : un impensé des politiques du « bien vieillir »

Le grand âge : un impensé des politiques culturelles,


Paru en 2019 à l'issue d'une vaste concertation nationale, le Rapport Libault propose un ensemble de recommandations ayant comme objectifs une vie digne pour les plus âgés et le renouvellement du regard sur le grand âge. Dans sa conclusion, il est souligné que

« l'accompagnement de la personne âgée ne se limite pas à la prestation de soin ou d'aide aux actes de la vie quotidienne. Le vieillissement et la perte d'autonomie concerne l'individu et le citoyen, la manière dont sont maintenues ses capacités de participation à la vie sociale et politique. »

Malgré cette approche holistique de l'accompagnement du grand âge, les auteurs du rapport du CHEC soulignent que les politiques publiques du « bien vieillir » répondent majoritairement aux besoins primaires des personnes âgées, ceux touchant à la santé et à la sécurité.

Toujours selon le rapport, l’État n'a pas encore pris les mesures nécessaires pour répondre aux besoins de liens sociaux et de reconnaissance, de bienveillance et d'apport positif à la vie de la cité de chaque aîné. Il serait alors nécessaire d'engager l'ensemble des politiques publiques : transport, logement, urbanisme, aménagement du territoire mais aussi éducation nationale, nouvelles technologies et… culture.

On connaît désormais les effets positifs des pratiques culturelles et artistiques sur la santé physique et psychologique de tous et des personnes âgées en particulier. En 2019, l'OMS analyse plus de 900 publications scientifiques et publie un rapport faisant désormais autorité sur cette question.



Tournons nous désormais vers les structures culturelles et leur fréquentation par les seniors. Face au manque d'étude sur cette catégorie de « publics », le groupe de travail a élaboré et soumis un questionnaire. Malgré un échantillon modeste, les résultats interpellent.

Tandis que 85,7% des établissements ou collectivités mettent en place une offre spécifique en direction des enfants et des jeunes, seulement 25% des structures disent accueillir de manière spécifique les publics âgés de plus de 70 ans.

Et à la question « le vieillissement est-il un sujet de débat dans votre structure ? » 53, 6% répondent par la négative. Les auteurs soulignent une ligne de partage : un établissement culturel est théoriquement un lieu d’échange mais la nécessité de renouveler les usages et les pratiques vient briser l'idéal d'ouverture de ces lieux, notamment en direction des publics les plus âgés.

Des initiatives innovantes issues des territoires.


Si l'engagement de l’État en faveur d'un dialogue entre culture et bien vieillir reste faible, des initiatives pionnières émergent dans certaines collectivités territoriales.


Parmi les nombreux exemples cités dans le rapport, la résidence intergénérationnelle Le Cours des Arts à Rennes offre des espaces de vie pour des personnes âgées et des familles ainsi que des espaces de travail pour des artistes. Le partage par les habitants et les usagers des associations du quartier d'une salle commune, d'une buanderie, d'une cuisine et d'un jardin favorise les contacts sociaux et l'entraide. Quant au Dispositif ORPAN à Nantes, il propose aux personnes âgées un programme de sorties culturelles, en journée ou en soirée, accompagnées par un bénévole de l'association.


Nous pouvons ajouter à ces propositions, des démarches portées par des collectivités territoriales qui reconnaissent les bénéfices des arts et de la culture dans le champs de la santé en général et des plus âgés en particulier.

Ainsi, l’Agglomération du Bocage Bressuirais a créé une mission transversale Culture-Santé confiée à l’association Voix et Danses. Cette mission vise, notamment, à contribuer à la mise en place d’une politique publique forte et innovante en direction des publics éloignés, parmi lesquels les publics très âgés, fragiles et isolés vivant en Ehpad et à domicile.


Image : Le grand Tour de Valse - Cie alea citta - Association Voix et Danses © Anthony Hamidovic


Du côté des acteurs culturels et artistiques, des initiatives existent aussi. Le rapport cite le désormais célèbre LBO, centre d’art installé dans un Ehpad et inauguré en 2022 (nous aurons l'occasion de revenir plus en détail sur ce projet dans ce blog). Les auteurs proposent des actions d’«aller vers » en direction des structures médico-sociales spécialisées, les Ehpad.


Oui mais… nous pouvons ajouter que les Ehpad ne sont pas les seuls lieux de vie des personnes âgées.
Les seniors résident également en résidences autonomie, en résidences services, dans des habitats intergénérationnels et surtout à domicile. En effet, près de 9 personnes âgées de plus de 60 ans sur 10 vivent chez elles (Qui vit à domicile, qui vit en établissement parmi les personnes de 60 ans ou plus ? Les Dossiers de la DREES n° 104. Février 2023)

L'un des enjeux des politiques publiques sera précisément de trouver les leviers permettant d'intégrer ces seniors à la vie culturelle et artistique de leur territoire, de leur permettre d'avoir encore l'opportunité de faire une rencontre avec des artistes, des œuvres, ou encore d'expérimenter des pratiques artistiques et/ou culturelles. Investir le domicile pour les acteurs culturels est loin d’être simple tant les freins opérationnels sont nombreux...


Pourtant des projets associant artistes et personnes âgées vivant chez elles ont, ces 20 dernières années, vu le jour.




Ainsi, au début des années 2000, au cœur du Morvan, Jean Bojko et le TéATr'éPROUVèTe imaginent Les 80 ans de ma mère. Le projet se développera sur plusieurs années avec la création d’un Service d’Art à Domicile qui se déploiera sur le département. Expositions, projection de films, rencontres… porteront la voix et l’imaginaire des plus âgé(e)s qui sont alors regardé(e)s comme « des contemporains comme les autres ».


Image : Les 80 ans de ma mère - TéATr'éPROUVèTe © Sylvie Roche


En 2015, Le Pôle de compétences Culture et Santé en Aquitaine et le Centre Intercommunal du Pays d’Albret portent le projet Nous vieillirons ensemble. La coopération de nombreux acteurs du champ médico-social et du domaine culturel a permis le déploiement d’une action culturelle et créative protéiforme, envisageant les personnes âgées, ici aussi, comme des « une force essentielle pour construire l’avenir ».


Enfin, depuis 2021, Derrière le Hublot (scène conventionnée d’intérêt national), trace les lignes d’un Service d’Art à Domicile sur le territoire de Capdenac. En cours de construction, le projet interrogera la relation entre les auxiliaires de vie et les personnes aidées.


Des projets intergénérationnels : l’EAC jusqu’au bout de la vie ?


Dès la formulation de son titre, le rapport dessine une approche novatrice : la dimension intergénérationnelle.

Parmi les propositions avancées par les auteurs, l'une d'entre elles a particulièrement retenu

notre attention  :

« Et si l'éducation artistique et culturelle (EAC) intégrait plus systématiquement une dimension intergénérationnelle ? »



La question de l' « éducation artistique » pour le troisième, voire le quatrième âge, a été posée et débattue au cours des dernières Rencontres Nationales de l’Éducation Artistique et Culturelle organisées en septembre dernier dans les Côtes d'Armor et intitulées « Les Saisons de l’EAC. Pour une éducation artistique et culturelle accessible à tous, dans tous les temps de la vie ». La table ronde « Sensation de l’âge, l’expérience de l’âge : vieillir et continuer l’EAC » interroge la place des plus âgés dans les dispositifs de l’EAC. Elle pose la question : « comment rendre opérationnelles des politiques associant « bien vieillir » et culture  ?


Image : Les Belles Rencontres

© Le Fil art et grand âge


Et si nous pensions une politique culturelle pour les plus âgés comme une politique culturelle pour toutes les générations ?

On pourrait alors imaginer des politiques publiques, mais aussi des projets de médiation, donnant une juste place aux personnes du grand âge parmi celles appartenant aux autres âges de la vie.

Cette dimension intergénérationnelle, souvent galvaudée, prendrait une ampleur inédite au service du « vivre ensemble », de la transmission des savoirs et des cultures mais aussi de la lutte contre l'âgisme.


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